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bbarry@ucad.sn ------------------- En Hommage à Claude Meillassoux et Yves Benot. C'est avec consternation que j'ai appris le décès de Claude Meillassoux et de Yves Benot, deux parmi les plus grands spécialistes de l'Afrique. J'ai eu le privilège de les connaître depuis de longues années, séparément, mais leur disparition à un jour d'intervalle m'amène à célébrer leur mémoire ensemble pour marquer ma profonde douleur et ma gratitude à deux grands maîtres qui ont marqué l'évolution des études africaines. J'ai connu tout d'abord Yves Benot, dans les années 1960, au lycée de Conakry où il enseignait le français. Il fait partie de cette légion de professeurs de la gauche : Français, Sénégalais, Mauritaniens, Voltaïques, Nigériens et Ivoiriens qui avaient sacrifié leur carrière pour voler au secours de la Guinée, indépendante en 1958, abandonnée par la France qui avait retiré tous ses cadres. Grand spécialiste du XVIIIéme siècle et plus particulièrement de Diderot, Yves Benot, de son vrai nom Helman, nous a appris à lire un texte, mieux à lire entre les lignes et surtout à exercer notre esprit critique. Il était d'une rigueur implacable et a ainsi marqué toute une génération par son sens de l'humour et ses répliques célèbres qui faisaient le tour du lycée, comme une traînée de poudre. Hélas Yves Benot, comme la plupart des professeurs africains, devait quitter la Guinée après la fameuse grève de 1961, consécutive à l'arrestation des représentants du syndicat des enseignants accusés de complot contre le régime. C'était le divorce entre la gauche et le PDG qui engage la répression des intellectuels et accuse les professeurs étrangers d'ingérence dans les affaires intérieures de la Guinée. Notre génération n'a pas tardé à prendre le chemin de l'exil, après le baccalauréat, pour poursuivre les études à Dakar, Paris ou Abidjan. Yves Benot a choisi le Ghana pour appuyer l'action de Kwame Nkrumah en participant à la publication du journal L'Etincelle. C'est bien plus tard, dans les années 1970, que nous avons retrouvé, à Paris, notre ancien maître qui, avec Samir Amin, a parrainé la publication de notre ouvrage « Le Royaume du Waalo » chez François Maspero. Entre temps le professeur de français s'était mué en politologue en publiant, en 1969, « Idéologies des Indépendances africaines », réédité en 1972 et en traduisant de l'anglais vers le français « Le Ghana » de Kwame Nkrumah et « Histoire du Mouvement noir aux Etats-Unis. Après les textes politiques de Diderot, de l'athéisme à l'anticolonialisme, Yves Benot s'engage sur les traces du grand philosophe dans la lutte contre le néocolonialisme en Afrique. Il deviendra la cheville ouvrière des publications sur l'Afrique aux Editions Maspero, en éditant ou en publiant de nombreux ouvrages sur le développement. Il reste fidèle, néanmoins, à Diderot et au Siècle des Lumières en publiant, en 1988, « La Révolution française et la fin des colonies » pour marquer le rôle de Saint Domingue dans la chute de l'Ancien Régime. C'est dire qu'Yves Benot était, à l'image de Diderot, un encyclopédiste ouvert à tous les continents et un farouche défenseur des droits de l'homme. Il a vécu cet idéal de liberté dans la pauvreté malgré son savoir encyclopédique. J'ai eu le plaisir de revoir Yves Benot à chacun de mes passages à Paris où il me recevait dans un café de la rue des Ecoles ou chez lui où il organisait souvent un dîner en compagnie de nombreux intellectuels de gauche. On pouvait alors découvrir, derrière le caractère austère de Yves Benot, un homme profondément généreux. Il avait une connaissance encyclopédique sur tout de Paris, de ses rues, de son histoire, de sa cuisine qu'il faisait à merveille. Yves Benot parlait de tout à merveille sauf de lui-même. Il ne parlait jamais de lui, ne se plaignait jamais. Et pourtant il ne vivait pas dans l'opulence. Sa carrière avait été brisée par son départ pour la Guinée et, à son retour, on l'avait envoyé au Pas de Calais comme maître auxiliaire pour le punir. Il n'a jamais plié. Je ne l'avais pas revu depuis quelques années à cause de mes voyages de plus en plus espacés vers Paris. Mais j'avais, ces derniers mois, appelé Yves Benot au téléphone pour lui parler de vive voix et le rappeler à mon bon souvenir. Ce fut pour la dernière fois jusqu'à cette nouvelle fatale de son décès que j'ai appris juste après celui de Claude Meillassoux. Claude, comme on aimait à l'appeler, je l'avais rencontré pour la première fois en 1970 à l'IFAN où je rédigeais ma thèse sur le « Royaume du Waalo ». Il avait déjà lu mon mémoire de maîtrise sur le sujet et il m'a tout de suite encouragé en manifestant un intérêt pour mes travaux de jeune chercheur à l'époque. L'auteur de l'anthropologie économique des Gourou de Côte-d'Ivoire avait ouvert une voie royale à une collaboration fructueuse entre l'anthropologie et l'histoire au service de la décolonisation des études africaines. Claude Meillassoux fait partie de cette pléiade de grands maîtres qui ont osé dépouiller l'anthropologie de ses préjugés coloniaux sur les sociétés primitives sans histoire. Avec Meillassoux, les sociétés africaines retrouvaient leur historicité et leur autonomie qu'il a si brillamment illustrées grâce à de nombreux et remarquables ouvrages à partir de l'ouvrage sur les Gourou, devenu un classique de l'anthropologie économique. Il devait successivement publier « L'Esclavage en Afrique pré-coloniale », « Femme, Greniers et Capitaux », « Anthropologie de l'esclavage. Le ventre de fer et d'argent » et tant d'autres ouvrages aussi célèbres. De Paris, Meillassoux est resté attaché à l'Afrique et surtout attentif aux effets du néocolonialisme qui maintenait la dépendance économique et politique. Il avait, en son temps, dénoncé les dérives des barrages en construction sur le fleuve Sénégal et en particulier le risque de dépossession des terres aux paysans de la vallée dans un célèbre article du Monde Diplomatique. Il était devenu persona non grata au Sénégal pendant une longue période. Comme à Yves Benot, je rendais visite à Claude Meillassoux à chacun de mes passages à Paris où il me recevait toujours avec chaleur. Nous discutions de nos travaux, de nos familles respectives en toute amitié. Malheureusement ces derniers temps, nous nous étions perdus de vue, malgré le v¦u qu'il avait exprimé dans sa dédicace à son livre « Femmes, Greniers et Capitaux » : « Avec l'espoir que nos rencontres vont, désormais, être moins espacées dans le temps. Avec estime et amitié. » Signé Claude Meillassoux. Hélas cela n'a pas été jusqu'à la nouvelle fatale de son décès que je ressens avec beaucoup de peine en pensant à son fils Quentin, maintenant professeur à l'Ecole Normale Supérieure que je n'ai pas revu depuis fort longtemps. Les Etudes africaines viennent de perdre deux des plus grands spécialistes de l'Afrique qui ont consacré leur vie à faire mieux connaître ce continent et ses problèmes. Ils ont été sensibles, dans tous les actes de leur vie à la situation de dépendance de l'Afrique qui a subi les conséquences des effets de la traite négrière, du colonialisme et du néocolonialisme. Ils ont servi l'Afrique sans chercher les honneurs et les privilèges et surtout avec beaucoup d'humilité. Ils ne se sont jamais pris pour des donneurs de leçons aux Africains, mais ont toujours été à l'écoute des voix en provenance du continent qu'ils ont aidées à s'exprimer par leurs travaux. Je garde pour Claude Meillassoux et Yves Benot le souvenir inoubliable d'une vie bien remplie pour la défense de la cause des damnés de la terre. Que la terre de Paris vous soit légère ! Boubacar Barry Professeur / Département d'Histoire Université Cheikh Anta Diop Dakar / Sénégal E-mail : barry@sentoo.sn bbarry@ucad.sn
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